L’ÉTAT TROP BIENVEILLANT
COLLABORATION SPÉCIALE
Le Québec se décrit comme une société moderne, ouverte, innovante. Mais il ne faut pas gratter beaucoup pour découvrir que les réflexes, quand surviennent des innovations, sont plus proches du conservatisme rural que de la modernité.
On le voit à la façon dont le Québec réagit à la véritable révolution provoquée par l’essor de l’internet et des appareils intelligents et par leur impact sur la démocratisation de la consommation et de la culture du partage. Pensons à la réaction particulièrement musclée à l’arrivée d’UberX. Mais ce n’est pas le seul cas. Il y a vraiment un .
Je vais d’abord parler d’un dossier beaucoup moins litigieux, la guerre des opticiens d’ordonnance contre la vente de lunettes en ligne, qu’une petite compagnie québécoise, BonLook, établie à Montréal, a contribué à déclencher. Cette entreprise propose un nouveau modèle d’affaires : elle réalise le design de montures « tendance », les fait fabriquer, fournit un outil d’essayage virtuel et vend en ligne des lunettes avec prescription qu’elle expédie par la poste.
Sa formule avait du succès aux États-Unis, mais pas ici, parce que c’était « illégal » au Québec. Même si BonLook exige du client une prescription en bonne et due forme, c’est illégal parce que la vente de lunettes est réservée aux optométristes et aux opticiens d’ordonnance. L’entreprise a contourné cet obstacle réglementaire en s’associant à un opticien. Mais techniquement, selon l’Ordre des optométristes et celui des opticiens d’ordonnance – deux ordres qui, soit dit en passant, passent le temps à se chicaner entre eux –, la pratique est illégale parce que l’expédition par la poste contrevient à la règle voulant que la remise d’une paire de lunettes soit faite en main propre par le professionnel. Oups, j’oubliais de dire que ces lunettes se vendent à 129 $, soit trois ou quatre fois moins cher qu’ailleurs.
C’est un cas clair où les règles, en principe au nom de la protection des consommateurs, servent surtout à protéger un métier, ce qui est typique de la culture corporatiste québécoise. L’Europe a libéralisé le commerce des lunettes, comme les États-Unis ou la Colombie-Britannique. Il est vrai que l’intervention de professionnels spécialisés lors de l’achat d’une paire de lunettes apporte une valeur ajoutée. Mais leur monopole sur la vente des lunettes a mené à des abus, notamment les prix les plus élevés en Amérique.
Ce devrait être au consommateur de décider s’il veut profiter ou non de leurs conseils professionnels.
C’est fondamentalement le même problème qui se pose avec UberX. L’industrie du taxi jouit d’un monopole sur le transport individuel commercial qui repose sur un système de gestion de l’offre, comme pour le lait ou le homard. C’est ce qui explique que les permis de taxis se vendent 195 000 $ sur Kijiji. Là aussi, le monopole a un effet pervers : un service médiocre. Si UberX a du succès, c’est parce qu’il propose quelque chose de mieux que le taxi traditionnel, en termes de prix, de service, d’interaction et de convivialité.
Et la réaction, très populiste, de la saisie d’automobiles d’UberX à Montréal vise à protéger le métier, plutôt que le consommateur. Il est vrai qu’il faut une transition et un encadrement, pour éviter la concurrence déloyale et atténuer le choc que subissent les chauffeurs de taxi. Mais le n’est pas une réponse à ce qui est un des éléments d’une révolution du transport urbain. Notons en passant qu’une révolution similaire a frappé le transport interurbain, avec des services de covoiturage comme Amigo.
Une bataille semblable s’annonce dans l’hébergement, avec le phénomène Airbnb. Le gouvernement du Québec veut être le premier au Canada à légiférer – quelle surprise ! – pour encadrer cette forme d’hébergement de partage. Pour protéger le consommateur ? Pas une seconde. Pour protéger l’industrie.
Soyons heureux que le Québec n’ait pas de juridiction sur les télécommunications. Les chances seraient fortes que notre État bienveillant aurait réussi à bloquer Netflix, Rdio ou Spotify.
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Antagoniste_net Un boomer pour défendre une industrie vieillissante et dénoncer la technologie... C'est presque drôle http://t.co/hVPMKEtGJv #polqc 2015-05-31 00:16 |
SI L’ÉCOLE ÉTAIT IMPORTANTE…
LA PRESSE
L’éducation est prétendument une priorité des Québécois. On se répète ça, comme un mantra. . Les partis politiques disent la même chose, ils mettent l’éducation dans le grand buffet de leurs priorités.
C’est pas vrai.
C’est pas vrai que l’éducation est une priorité pour les Québécois. C’est pas vrai que l’éducation est une priorité pour les gouvernements québécois.
Si l’éducation était une priorité, nous ne laisserions pas les gouvernements successifs lui faire ce qu’ils lui font. Je parle de compressions successives dont la dernière en lice se trouvait dans le budget Leitao, je parle de cette réforme lancée par les péquistes et maintenue par les libéraux, qui a eu des effets aussi inefficaces que si on l’avait confiée à un sorcier.
Si l’éducation était une priorité, nous serions furieux depuis longtemps devant les moyens souvent faméliques qui sont mis à la disposition des écoles.
Nous serions furieux de voir ces compressions qui touchent les enfants aux prises avec des troubles d’apprentissage. Nous serions furieux – et humiliés – que nos écoles doivent financer l’achat de dictionnaires par des ventes de tablettes de chocolat.
Si l’éducation était une priorité, nous nous demanderions pourquoi tant de Québécois choisissent de payer 3000 $, 4000 $ ou 5000 $ par année pour envoyer leur enfant à l’école privée. Dans la vie, il arrive que les gens votent avec leurs pieds : cet exode devrait être le canari dans la mine de charbon du public, celui qui nous avertit que le climat est en train de devenir délétère. Mais non, au Québec, quand il est question de la place de plus en plus grande des écoles privées dans l’écosystème de l’éducation, ceux qui parlent le plus fort veulent tuer le canari.
Il y a quelques années, j’ai voté avec mes pieds quand j’ai vu l’école de quartier pitoyable qui avait accueilli mon fils, pour sa maternelle. Quand une école privée a offert de prendre mon fils, trois jours après la rentrée scolaire, j’ai dit oui et je ne l’ai jamais regretté : ces 4000 $ sont les meilleurs dollars que je dépense dans une année.
Plus tard, j’ai interviewé Diane De Courcy, alors présidente de la Commission scolaire de Montréal, pour les . Pendant que nous jasions à bâtons rompus, M De Courcy m’a demandé pourquoi j’avais choisi d’envoyer l’héritier au privé. Je lui ai raconté en détail ses trois jours dans cette école qui tenait davantage de la station de tri d’un goulag que d’un tremplin vers la vie pour les futurs citoyens. Quand je lui ai dit de quelle école il s’agissait, M De Courcy a soupiré : « Ça fait 10 ans qu’on a des problèmes dans cette école. »
La chose la plus simple à faire, ici, c’est de lancer la pierre à M De Courcy et à la CSDM. Je ne l’ai pas fait et je ne le ferai pas. L’école de quartier dont il est question est à l’image de l’idée de l’école – l’École, disons – au Québec : on la laisse aller à la dérive parce qu’on s’en
Si l’École était importante, il aurait été impensable que cette école dont je vous parle soit ainsi laissée pour compte pendant une décennie. Une « mauvaise » école ne devrait jamais l’être longtemps.
Quand la CSDM a envoyé une note aux parents, fin avril, pour leur dire que les compressions gouvernementales allaient notamment la forcer à faire des coupes dans le transport scolaire, les services aux élèves en difficulté et des programmes parascolaires, le débat s’est cristallisé sur des écrans de fumée plutôt que sur le fond des choses.
Ah, si seulement la CSDM gérait bien ses affaires, a-t-on dit et répété (surtout à Québec), si seulement elle avait suivi les recommandations de la firme machin embauchée pour réviser sa gestion, peu avant, tss, tss…
Ok. Je veux bien que la CSDM ne soit pas un parangon de gestion. Mais pourquoi la Commission scolaire de Laval a-t-elle annoncé le même genre de coupes ? Pourquoi la même chose en Outaouais ? Toutes les commissions scolaires gèrent-elles mal ?
J’en entends me dire que oui, que toutes les commissions scolaires gèrent mal. Mettons que c’est vrai, mettons qu’elles dépensent le fric aux mauvais endroits. Mettons…
Pourquoi c’est permis, alors ?
Je regardais aller le ministre François Blais, pendant son bras de fer avec la CSDM, et la réponse me semble évidente : c’est utile en tabarslak pour un ministre de l’Éducation d’avoir des commissions scolaires à blâmer !
Le Québec a eu son premier ministère de l’Éducation en 1964. L’Ontario ? En 1876. Avant ça, l’éducation québécoise, c’était pour les nantis et les chanceux ; les autres allaient travailler avec leurs bras pour scier du bois ou porter des seaux d’eau. C’est caricatural, mais le résultat net, c’est qu’avant la Révolution tranquille, le Québec était juste devant le Portugal – dernier de classe en Occident – au chapitre de la scolarisation.
Ça fait donc 50 ans que les Québécois ont commencé à comprendre que l’école, c’est important. On a compris plus tard que les autres. Ça laisse des traces, ça, dans l’imaginaire d’un peuple. Une de ces traces, c’est de ne pas être furieux quand nos gouvernants maltraitent l’École.
Mais comment être furieux contre nos gouvernants quand 5 % des Québécois citent l’éducation comme leur priorité ? Nos gouvernants sont le reflet de ce que nous sommes, gang. Leurs priorités reflètent les nôtres.
Tout ça pour dire que je parle à des profs depuis quelques semaines, des profs qui me racontent ce qui se passe dans leurs écoles, dans leurs classes. Je vous donne quelques nouvelles du front, la semaine prochaine.
(1) Sondage CROP–Radio-Canada présenté pendant la campagne électorale de 2014. Les trois priorités de l’électorat : santé (35 %), économie et emploi (24 %) finances publiques (12 %).
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