Ah, ils avaient de beaux sourires et le triomphe satisfait, nos leaders étudiants. Ils ont bien raison. Ils ont obtenu l'annulation de la hausse des droits de scolarité. Et ils ont gardé toutes les bonifications annoncées par le gouvernement Charest!
Le beurre et l'argent du beurre, c'est bien. Une vache, c'est encore mieux.
Cette vache va pomper 118 millions de dollars par année d'argent public en aide supplémentaire à des étudiants qui ne paient pas un sou de plus pour aller à l'université - des bonifications qui rendaient «payantes» les hausses pour les familles gagnant 60 000 $ et moins.
Y a de quoi sourire, je trouve. Mais ce n'est pas assez.
Les deux fédérations «modérées» (FECQ et FEUQ) réclament le gel absolu et éternel des droits de scolarité - c'est-à-dire une diminution à perpétuité du coût des études, puisque l'inflation ne doit jamais effleurer le prix des études. Martine Desjardins de la FEUQ compte sur les «tiraillements au PQ» pour obtenir ce gel. Esbroufe? Stratégie de négo? Incantation?
Va savoir. Le fait est que ces militants étudiants nous disent aujourd'hui: c'est super, mais on en veut plus.
Pauline Marois a clairement dit pendant la campagne qu'il y aurait dégel. Mais aujourd'hui, c'est le gel. Comment et quand dégeler? Ne rangez pas vos carrés rouges trop vite. Si je ne m'abuse, la CLASSE réclame la gratuité scolaire. On est chanceux, le prochain 22 tombe un samedi.
«C'est le triomphe de la justice et de l'équité», a dit Mme Desjardins.
Le point de vue est largement partagé à gauche.
Ça se discute. On a l'université la plus accessible au Canada, mais elle est moins fréquentée que celle de Nouvelle-Écosse. Quand on examine les données sociologiques des finissants à la faculté de médecine de l'Université de Montréal, on réalise que la moitié des 280 diplômés vient des 5% de familles les plus fortunées de la société québécoise. Ceux-là ont payé
100 000 $ de moins que ceux ayant suivi le même cours à Ottawa - une université capable de donner de bien meilleures bourses aux étudiants et qui attire bien plus de gens de milieux moins riches.
Mais eh! justice et équité, ça sonne tellement bien. Tous ces étudiants en socio, qui, eux, paient presque la moitié du coût de leurs études, ont fait la grève pour obtenir cette justice et équité pour les futurs dentistes, avocats, vétérinaires, etc. qui n'étaient pas en grève. J'espère qu'ils leur diront merci pour la solidarité.
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Bah, ne ressassons pas de vieilles histoires, on a voté, et il a été décrété que le «progrès» est du côté du gel (au moins). OK.
Alors maintenant, on fait quoi? Pour cette année, ça ne change pas grand-chose: les universités perdent environ 1% de leur budget avec le gel. Mais à terme, c'est-à-dire dans sept ans, ce sont 332 millions de plus par année qui allaient arriver comme de l'oxygène dans les universités - 5 à 7% des budgets. C'est énorme.
Qui va compenser? Les impôts, les taxes? Va-t-on demander aux profs un gel des salaires? La magie budgétaire a des limites.
Ah oui, c'est vrai, on va aller chercher l'argent dans la mauvaise gestion universitaire. C'est pour ça qu'on organisera bientôt un Sommet des universités. On fera comparaître les recteurs et on leur demandera des comptes. Il ne manque pas de sujets: pavillons non terminés, concurrence hors territoire, etc.
Mais ceux qui pensent que quelque part se cache un coffre avec écrit dessus: «argent amassé à des fins de dilapidation absurde» seront déçus. Partout, grosso modo, les données se ressemblent. On paie surtout des profs (50% des budgets), du personnel de soutien (le quart des budgets) et de l'entretien divers pour le reste. On verra que les bâtiments sont, dans quelques cas, à la limite du mauvais entretien. Peut-être quelqu'un verra-t-il que les universités en Ontario sont souvent mieux équipées? Pas pertinent...
Qu'importe. On trouvera de quoi soulever des doutes. On créera un bureau de surveillance. Un peu de bureaucratie de plus. Et à la fin, on aura le choix: ou bien on continue à sous-financer l'université québécoise. Ou bien on fera payer aux Québécois, déjà très taxés, parce que les associations étudiantes refusent le concept de contribution des étudiants.
À la fin, on aura nui à la capacité de nos universités de concurrencer les meilleures. De fabriquer de la science et du savoir du plus haut niveau en français.
Quelle victoire, mesdames et messieurs.