Hier, à Montréal, se tenait la Deuxième conférence mondiale sur les religions du monde, avec des sommités de chacune d’elles. Même le dalaï-lama y était. À l’occasion, on proposait une nouvelle version de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 12.4 laisse pantois: « Chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d’enseignement. »
Traduisons: si chacun a le droit de ne pas voir sa religion dénigrée, c’est donc dire qu’il faut retirer aux autres le droit au blasphème.
Surpris? Pas vraiment. Déjà, cette idée progresse. Il y a quelques années, en Suisse, on a suspendu la présentation d’une pièce de Voltaire sur Mahomet parce qu’elle serait offensante pour les musulmans.
De la même manière, en 2006, pour avoir publié des caricatures de Mahomet, un journal danois s’est vu accuser de propos haineux.
La chose ne concerne pas que l’Islam. Il y a quelques années, La dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese, avait effarouché certains chrétiens fondamentalistes. Aurait-il fallu en interdire la représentation?
Semblablement, Nietzsche a concentré son oeuvre à une critique fondamentale — et méprisante — du christianisme. Faudra-t-il en interdire la réimpression et l’enseignement universitaire?
Qu’en sera-t-il des athées, de ceux pour qui la religion est une relique malfaisante? Christopher Hitchens a écrit le livre Dieu n’est pas grand. Censurons Hitchens?
Chaque religion parviendra-t-elle à inscrire sa propre définition du blasphème dans le droit, à s’abriter de la critique? Ce n’est pas seulement le blasphème outrancier qui est visé : c’est la liberté d’expression. Certains en font un mauvais usage? Évidemment. Mais doit-on interdire tout ce qui nous déplaît?
Si la liberté d’expression ne permet pas de transgresser les interdits des uns et les tabous des autres, veutelle encore dire quelque chose? Aussi bien dire qu’elle consiste à avoir le droit de préférer le rouge au bleu, les hotdogs aux hamburgers.
C’est parce qu’à l’époque des Lumières, les philosophes ont décidé de ne pas respecter les religions ou leurs dogmes, qu’ils ont créé les conditions du progrès de la pensée, en élargissant ses frontières.
En fait, ce ne sont pas les religions que veut protéger cette Déclaration: c’est le droit des fondamentalistes de chacune d’entre elles de ne pas se sentir heurtés dans leurs croyances.
La liberté d’expression est le plus précieux fondement de notre civilisation. Doit-on vraiment consentir à son sacrifice sur l’autel des fanatismes?
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