Les hackerspaces et les makerspaces, ces lieux physiques où se réunissent les hackers, « sont les écoles du futur ». Tel est le credo de James Carlson, fondateur de The School Factory [en] une association qui accompagne la création de ces endroits dédiés aux expérimentations électro-informatiques et au Do It Yourself (DIY, « fais-le toi-même »).
Et il parle d’un futur très proche : « Que voulons-nous dire par le terme “école” en 2020 ? ». Pas du tout iconoclaste, l’Américain ne fait que résumer ce que bon nombre de hackers pensent : le système éducatif actuel devrait être rebooté, réinitialisé. Alors cela donnerait quoi si un hacker prenait les rênes du ministère de l’Éducation ? Outre des sites un peu plus sécurisés, il introduirait des principes pédagogiques à rebrousse-poils de ceux qui gouvernent le système actuel.
Les honneurs du ratage
« Le premier qui a dix réponses justes reçoit un bon point. » Quel jeune élève n’a jamais entendu ce genre de promesses ? Un fonctionnement qui fait frétiller les forts en thème, mais pas le Hollandais Jaap Vermaas. L’homme a monté FabLab Truck [nl/en], « la fabrication numérique sur roues », un camion qui va dans les écoles animer des ateliers :
Le système actuel récompense les couards qui ne font pas d’erreurs.
Les hackers exaltent l’erreur comme processus primordial de l’apprentissage. « Si l’école et l’éducation pouvaient tirer profit de la valeur de l’échec et l’utiliser comme outil pédagogique, elles seraient plus efficaces, poursuit James Carlson. Les gens seraient capables de célébrer et d’honorer les erreurs qu’ils font et d’apprendre de leurs erreurs ensemble. »
La pratique contre la théorie
« Learning by doing », apprendre en faisant : exit les livres, place aux mains dans le cambouis : se salir les mains n’est pas moins noble que d’avaler des pages et des pages. « En Hollande, il y a une stricte séparation entre les enfants intelligents qui vont aller dans les filières intellectuelles et ne touchent pas les outils et les autres, qui apprendront à se servir des outils », déplore Jaap, un constat qui vaut aussi pour la France. Lui rêve de réconcilier les deux…
Une pratique qui décomplexe, comme le narre Emmanuelle Roux, chef d’entreprise qui enseigne à l’Université de Cergy et qui monte un FabLab au cœur de l’établissement pour la rentrée. Ses élèves sont en licence de développeur, c’est-à-dire qu’ils s’apprêtent à apprendre à coder. DeuxMakerBot (des imprimantes 3D) vont rejoindre la faculté, dont l’une sera mise à disposition de la promotion, quel que soit le cursus des élèves, communication, infographie, programmation. Le montage des machines, durant 5 jours, a été l’occasion d’observer une évolution réjouissante :
Le premier jour, ils nous ont regardés bizarrement, une élève est passée et nous a dit : “mon câble de console de jeu a été mangé par mon lapin, pourriez-vous me le réparer ?” ; le troisième jour, un élève s’est assis à côté de nous, il a attrapé des pinces et un fer à souder, et en a profité pour réparer un objet ; le quatrième jour, des élèves passaient pour voir où en étaient les premières impressions, et on n’a jamais autant discuté personnellement avec certains élèves auxquels on avait du mal à accéder, qu’à ce moment-là.
Ils sont spontanément venus à côté des machines, et c’est un très bel outil pour parler de ce qui nous entoure, et qui nous nous paraissait évident, et dont eux sont encore assez éloignés.
A l’heure où le coût de la vie étudiante augmente encore, un ministre aurait un intérêt tout cynique à encourager cette tendance : « Ce sont des étudiants, ils n’ont généralement pas un rond, note Emmanuelle, quand on leur dit qu’ils peuvent fabriquer des choses assez rapidement, en s’amusant et en lui donnant la forme qu’ils veulent, ça accroche plutôt bien. »
Le partage avec ses petits camarades de classe
Mitch Altman, hacker historique, s’emballait lors du dernier Chaos Communication Camp, le plus grand rassemblement européen de hackers, qui s’est tenu début août : « un hackerspace, c’est un endroit comme ici où les gens partagent leurs savoirs et leurs passions et s’inspirent les uns des autres. » Et il ne faisait pas que s’emballer en théorie : l’homme animait un atelier de soudure pour les enfants où, tous ensemble, sous la houlette des adultes, ont mené à bien un petit projet. Inventeur de la célèbre TV-B-Gone (une télécommande universelle dotée d’un seul bouton : le OFF) et co-fondateur de Noisebridge, célèbre hackerspace, Mitch Altman promène ainsi sa tignasse multicolore dans les hackerspaces du monde entier pour apprendre aux gens les charmes du DIY.
Un partage institutionnalisé qui va de pair avec un fonctionnement horizontal : « On n’apprend pas d’un professeur, devant une classe en “top down”, détaille Jaap, mais des autres qui travaillent là, le partage des connaissances se fait, y compris sur un événement comme le Chaos Communication Camp. » Du coup, au début des workshops (ateliers), les vieux réflexes ont la peau dure : « souvent cela prend un moment avant que les élèves ne commencent vraiment car ils sont habitués à recevoir des instructions, et souvent les profs commencent à leur donner des ordres dans un sens; l’idée, c’est que les enfants prennent le temps de développer leurs propres directions. »
Encourager la créativité
Lorsqu’on lui demande ce qu’il ferait s’il était ministre de l’Éducation, Jaap Vermaas estime qu’il faudrait tout d’abord « développer la créativité des gens » :
Actuellement, il y a une mise en avant du savoir livresque, la seule question à l’école, c’est : “as-tu lu le livre ou non ?” Il n’y a pas de stimulation à penser par soi-même et à créer de nouvelles choses.
Bien sûr, il faut des connaissances théoriques mais de nos jours, les connaissances évoluent si vite que je pense qu’il est plus important d’apprendre à trouver les choses sur Internet et apprendre par soi-même ; apprendre par cœur n’a pas d’intérêt, il vaut mieux jeter un œil rapide et trouver des experts spécialisés, tu n’as pas besoin de faire tout toi-même, tu peux outsourcer, même les enfants font ça !
Apprendre à tous les âges
Tous ces *spaces sont en quelque sorte des universités du temps libre du 21e siècle. Si la moyenne d’âge est assez jeune, -environ 30 ans-, c’est bien des adultes qui les fréquentent surtout, pour compléter leurs savoirs ou les élargir. Pour James Carlson, si « les hacker et les makerspaces sont les écoles du futur », c’est justement en raison de leur aspect intergénérationnel, entre autres : « des gens de tous âges s’instruisant ensemble sur des sujets qui les passionnent, et partageant leurs expériences et leurs erreurs. »
Et plutôt que d’attendre que les gens viennent au savoir, c’est le savoir qui vient à eux, en mode agile et sans se soucier des classes sociales : « Les hackbus (hacklabs mobiles, ou hack véhicules) sont une porte d’entrée facile pour apporter la culture du hacking aux gens », explique Johannes, de la plateforme hackbus.info [en], qui entend fédérer les initiatives du genre. « Ce sont des unités mobiles d’apprentissage et d’enseignement, qui apportent la culture du hack au peuple qui, sinon, ne serait peut-être pas conscient des possibilités mises à leur disposition. Prenons du bon temps ! Et allons dans les villages ! C’est important ! »
Nous reprenons une tradition ancienne : apporter l’autonomisation (self-empowerment, ndlr) aux gens via une approche nomade. Ces unités pourraient et devraient être partout.
Alors qu’est-ce qu’on attend ?
Tous ces principes qui vont globalement à l’encontre du système éducatif de nombreux pays occidentaux. Toutefois certains établissements affiliés aux circuits traditionnels s’en inspirent. L’un d’eux n’est pas le moindre ni le plus récent, puisqu’il s’agit du célèbre MIT, considérée comme la meilleure université occidentale en sciences et en technologies.
William Barton Rogers, qui l’a fondé en 1861, avait souhaité valoriser autant « l’enseignement des sciences et l’ingénierie que les activités concrètes, et la pratique autant que la théorie ». Plus loin, le résumé s’envole : « en fondant son nouvel Institut sur l’interaction vibrante de l’exploration et de la créativité, Rogers a donné au monde un modèle incontestable de “machine à innover”. » Une créativité que les étudiants sont invités à exprimer entre autres à travers les « student hacks » [en], des blagues visant à montrer l’intelligence et l’inventivité de leur auteur, une pratique élevée au rang d’institution.
Parmi les mille inventions nées au MIT, les FabLab (pour Fabrication Laboratory) : le concept est né grâce au physicien Neil Gershenfeld, qui avait un cours pratique de prototypage intitulé « How to make (almost) anything » (Comment fabriquer (presque) n’importe quoi). Depuis, le concept a essaimé dans le monde entier, à tel point que certains se demandent si, aux côtés des boulangeries, on ne trouvera pas d’ici quelques années des fablabs de quartier.
Toutefois, le MIT se veut au service de son pays, ce qui va à l’encontre de l’idée de partage universel avec un réseau transfrontière de communautés prônée par les hackers : « Bref, une fois de plus nous pouvons produire et produirons le genre de nouvelles idées dont notre nation a besoin. »
Sans aller si loin, ni si prestigieux, le lycée autogéré de Paris s’inscrit aussi dans cette veine pédagogique. Mais elle reste une expérimentation rare et menacée par les baisses de budget.
Passion et subversion
Alors qu’attend-on pour généraliser ces idées ? Déjà parce qu’elles ne prennent sens qu’autour d’une notion-clé chez les hackers, la passion, incompatible avec la mission de l’Éducation nationale : faire acquérir des connaissances et des compétences qui vont du fonctionnement de l’appareil reproductif aux guerres napoléoniennes en passant par l’expression écrite et le Power Point.
Et surtout, ils laissent germer dans les esprits des graines subversives. Un papa geek expliquait ainsi dans un texte intitulé « Pourquoi je veux que ma fille soit un hacker » :
Les hackers évitent ce que j’appelle “le piège de la connaissance” – notre système éducatif consiste principalement à enseigner quoi penser, non pas comment penser. Ceci, de la maternelle au premier cycle.
Les hackers se concentrent sur les compétences plutôt que sur les connaissances, les gens ayant les compétences sont ceux qui survivent. Plus encore, c’est leur attitude qui rend les hackers efficaces. Les connaissances sont moins importantes car ils ont les compétences pour acquérir celle requise lorsque cela devient nécessaire. De plus, leur attitude indépendante les rend résistants au recours à l’autorité.
On commence par hacker ses LEGO, on finit par hacker la société.
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