L’imposture du  « 150e anniversaire »

LYSIANE GAGNON
LA PRESSE

Ce soi-disant « 150e anniversaire »  du Canada est une imposture qui travestit l’histoire réelle du pays et efface d’un trait de plume 250 ans de vie française en Amérique.

Le Canada tel qu’on le connaît, c’est-à-dire  le pays moderne bâti sur le modèle européen, est né en 1608, avec la fondation de Stadacona (Québec) par Samuel  de Champlain sous le régime de  la Nouvelle-France. Il s’est ensuite développé progressivement vers l’ouest.

Même Stephen Harper, l’homme de l’Ouest, reconnaissait ce fait historique. Il commençait tous ses discours en français « parce que, disait-il, c’est en français qu’est né le Canada ».

On s’étonne du silence bête et servile  de nos élites face à la fraude intellectuelle qui fait passer un pacte d’ordre politique – la création de la fédération, fautivement dite  à l’époque « confédération » – pour un acte de naissance.

Que dit Philippe Couillard, lui qui dirige  le territoire qui est le berceau du Canada ? Que dit Denis Coderre, lui dont la ville célèbre – ironie de taille ! – son 375e anniversaire ?

Que dit le Parti québécois, lui qui aime bien passer pour le gardien de la nation ? Au lieu de fustiger l’imposture historique, il préfère se concentrer sur les 150 ans de misères réelles ou imaginaires produits par  la fédération, ressasser les anciens griefs, faire bouillir la marmite du ressentiment… Comme si cet exercice de pleurnichage  et de victimisation pouvait faire remonter  le baromètre de la souveraineté !

Et que disent les fédéralistes québécois, eux qui doivent leurs victoires de 1980 et de 1995 au sentiment d’attachement discret, mais profond à ce Canada né ici il y a plus de 400 ans ? N’est-ce pas la raison fondamentale pour laquelle l’immense majorité des Canadiens français sont viscéralement incapables d’envisager une rupture ? Au point qu’il a fallu, pour arracher des votes pour le Oui, leur faire croire que  la souveraineté s’accompagnerait d’une union quasi organique avec le Canada ?

Cet anniversaire fictif est en outre d’un ridicule à pleurer. Cette semaine, Le Monde invitait ses lecteurs à voyager au Canada,  en cette année qui marque son « anniversaire de naissance ». Imaginez la tête du touriste qui découvre en débarquant à Dorval que la fondation de Montréal a précédé de 225 ans la naissance du pays !

C’est comme si la France fixait son acte  de naissance à la Révolution de 1789, tout  en célébrant le 15e centenaire de la ville  de Paris !

La promulgation de ces célébrations, même si elle a été amorcée par le gouvernement Harper, est bien dans la ligne de la mentalité « post-nationaliste » de Justin Trudeau,  le premier de tous les premiers ministres canadiens à se vanter d’ignorer l’histoire  de son pays.

Le 8 décembre 2015, dans une interview  au magazine du New York Times, M. Trudeau déclarait fièrement que le Canada est  un pays « sans identité centrale » et « sans majorité » (« no core identity, no mainstream »). L’auteur de l’article,  Guy Lawson, n’a pu s’empêcher de qualifier ce propos de « radical » : en effet, y a-t-il  un chef de gouvernement, où que ce soit,  qui oserait dire que son pays n’a pas d’identité propre ?

M. Trudeau poursuivait en proclamant que le Canada est « le premier pays post-national au monde », un pays sans nation que seules unissent les valeurs suivantes : « ouverture, respect, compassion, ardeur au travail, justice et égalité ».

On remarquera, dans ce fourre-tout sentimental, l’absence de toute référence au bilinguisme officiel légué par son père… une caractéristique qui a toujours été vue, jusqu’à présent, comme un marqueur de l’identité canadienne et un motif de fierté pour les dirigeants du pays.

Silence, aussi, sur le fait pourtant indéniable que le Canada moderne a été construit par les descendants de deux grandes nations,  la française et la britannique, auxquels se sont graduellement intégrés, à partir de  la fin du XIXe siècle, des immigrants venus de tous les continents.

On peut fort bien se réjouir  de ce que le Canada soit devenu une société multiculturelle (c’est mon cas), sans pour autant jeter l’histoire aux orties.

Non, le Canada n’est pas qu’un gros hôtel abritant une juxtaposition d’individus sans passé que rien ne pousse à s’intégrer  à la majorité.

Au contraire, les principales valeurs canadiennes actuelles reposent sur l’héritage français (les Lumières, le statut spécial de  la langue française) et sur l’héritage anglais (le libéralisme, le parlementarisme, le système judiciaire) – deux grandes traditions admirables… et qui sont précisément ce  qui rend le Canada si attrayant pour tous  les immigrants en quête de liberté.

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