L’épître de saint Lulu aux Québécois...



ll aura suffi que Lucien Bouchard, prophète en son pays, descende de sa montagne – ou plutôt, de son bureau du 24e étage – avec une épître disant aux Québécois d’oublier l’idée de tenir un référendum d’ici aux calendres grecques, pour que le feu prenne dans les milieux nationalistes.

Les propos de l’ancien premier ministre péquiste et fondateur du Bloc québécois sont contenus dans Lettre à un jeune québécois, publié cette semaine, et dans des entrevues aux Paul Arcand, et aux Richard Martineau de ce monde.

Ils ont déclenché une minitornade sur les réseaux sociaux, qui va du bon mot (« Lucien Bouchard ne ment pas, c’est la réalité qui se trompe ») à des accusations de haute trahison et de collusion avec le Diable, le Capital, les 1 % et la… famille Desmarais…

Un objectif noble, mais…

Dans son texte et ses entrevues, M. Bouchard ne fait pourtant que reprendre à son compte des conclusions auxquelles en sont arrivés, privément, un grand nombre de Québécois au cours des dernières années : l’indépendance du Québec demeure peut-être un objectif noble, mais le jeu en vaut-il encore la chandelle, dans le contexte d’aujourd’hui ? Quelles seraient les conséquences d’une troisième défaite en moins de 35 ans ? Et y aurait-il des avantages à la « victoire » ? Vraiment ?

N’est-ce pas exactement la conclusion qu’exprimait, quoiqu’avec moins de force et de clarté, un François Legault – lui-même un ancien poids lourd péquiste – avec sa promesse, durant la dernière campagne, de mettre la question nationale de côté pour dix ans ?

Pour faire bonne mesure, Lucien Bouchard botte aussi au passage le derrière de quelques vaches sacrées péquistes : apprendre l’anglais est important et utile, et ne menace pas le français ; des politiques « identitaires » brimant des droits individuels ne seraient pas plus tolérables qu’utiles. La meilleure défense de la culture québécoise demeure de produire de la richesse, pour mieux la supporter et la financer…

Là où Lucien Bouchard fait vraiment mal aux péquistes d’aujourd’hui, c’est qu’il conteste le monopole qu’ils se sont arrogé au cours des années sur les questions nationale et identitaire.

Le monopole de la vertu nationaliste

Le discours traditionnel péquiste est à la fois stressant et culpabilisant : il offre ce choix déchirant entre le confort et l’indifférence, et rien entre les deux. L’heure est grave, nous sommes menacés, des solutions radicales, des sacrifices importants s’imposent, parce que les enjeux sont majeurs : survivre ou disparaître… Un discours romantique, placé au-dessus des considérations stratégiques ou économiques ; une offre à prendre ou à laisser… que les faibles, les vendus, les libéraux et autres « fédérastes » laisseront, justement…

Il n’y a pas de place pour la nuance dans le discours péquiste : si le Québec n’est pas en chicane (« rapport de force ») avec Ottawa, il stagne ou recule. S’il n’est pas en marche vers l’indépendance, il ne « va nulle part. » S’il ne se « bat » pas (contre les « autres »), il est menacé de « disparaître. » Le « statu quo » est un cul-de-sac.

Lucien Bouchard et, vu le résultat de l’élection du 4 septembre, une majorité d’électeurs, ont fait une analyse post-mortem différente des résultats du référendum de 1995 – une analyse que le PQ n’a, manifestement, pas faite, de son côté.

Le monde a changé depuis 1995. L’idée de base du PQ, elle, n’a pas changé. Il s’agit d’un dogme : l’indépendance politique – et la position hostile envers la fédération canadienne, l’anglais, l’immigration, – qui s’applique à toutes les situations, peu importe les circonstances. Fin de la discussion. Tu es avec nous ou alors contre…

Lucien Bouchard offre ainsi une occasion en or aux intégristes du PQ de survivre : c’est de faire comme lui et les autres, et c’est de remettre leur dogme en question.

Question de faire avancer le Québec...