L’espoir
Par Annick Duchatel
Le printemps semble plus lointain que jamais, se dit Pierre Lavoie en ce jour sinistre de mars 2000. Pas à cause de la météo: ces derniers temps, c’est à peine si le champion de triathlon a regardé la couleur du ciel. Mais parce qu’il doit prendre la décision la plus difficile de sa vie: son fils Raphaël, âgé de 20 mois, transporté d’urgence de La Baie à l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal, est sur le point de perdre son combat contre l’acidose lactique.
Encore inconnue il y a une vingtai-ne d’années, cette maladie héréditaire a déjà fauché plus de 35 enfants au Saguenay-Lac-Saint-Jean depuis 1987. L’absence d’une enzyme essentielle à la production d’énergie par l’organis-me – la cytochrome oxydase – prive le jeune patient de tonicité: il marche plus tardivement, s’exprime parfois avec difficulté. En cas d’infection, son niveau d’énergie s’effondre au moment où son organisme en a le plus besoin pour guérir. L’hypotonie s’accompagne d’un déséquilibre sanguin: le taux d’acide lactique, toxique à haute dose, grimpe en flèche, menaçant la vie de l’enfant. C’est ce qui est en train de se produire dans le cas de Raphaël.
Dans les moments d’angoisse qui ont précédé cette journée, Lynne Routhier a chuchoté à l’oreille de son fils que, s’il voulait continuer le combat, elle serait à ses côtés et que, s’il voulait abandonner, elle serait là aussi. Ce moment est venu.
Doucement, médecins et infirmières entrent dans la cham-bre. Il y a dans l’atmosphère une sorte de recueillement. Puis les appareils qui maintiennent les si-gnes vitaux sont arrêtés, et les minutes pendant lesquelles le petit corps est livré à lui-même paraissent interminables. Puis tout est fini.
C’est alors que Pierre entend à la radio la chanson d’Yves Duteil Prendre un enfant. Il ne peut s’empêcher d’y voir un signe. A un autre moment de sa vie où il se sentait au bord du désespoir, il avait entendu cette chanson dans sa voiture et y avait puisé un immense réconfort.
«C’était trois ans avant la mort de Raphaël, se souvient-il. Juste après que notre fille Laurie nous ait été enlevée à l’âge de qua-tre ans.»
Au décès de sa fille, il avait noyé son chagrin en alignant les kilomètres à la nage, à vélo et à la course, relevant défi après défi pour alerter l’opinion sur la terrible maladie. La mort de Raphaël, loin de le vider de son énergie, le pousse à aller encore plus vite, enco-re plus loin. Cette maladie, il faut qu’il en parle. Il doit remuer ciel et terre pour la vaincre. Il le doit à ses enfants disparus.
«C’est comme si Laurie et Raphaël me montraient la voie», dit-il.
Rien ne prédestinait Pierre Lavoie à devenir un athlète accom-pli et un conférencier remarquablement éloquent. Né à L’Anse-Saint-Jean en 1963, il vit une enfance très dure. «Quand mes parents se sont séparés, ma mère a coupé tous les liens avec mon père, camionneur, et nous sommes allés vivre à La Baie, sans au-cun soutien matériel.» Sa jeunesse est une longue bataille pour survivre, qui aiguise sa combativité. «Pour mes deux frères, ma sœur et moi, c’était clair: on devait travailler.»
A la fin de ses études, il entre dans un garage comme mécano.
«A 20 ans, je fumais deux paquets par jour et j’étais totalement sédentai-re», raconte-t-il. Jusqu’à sa rencontre avec Lynne Routhier, sa future femme. «C’est elle qui m’a initié aux sports que je pratique aujourd’hui: vélo, ski de fond, course, natation. Elle m’a donné la piqûre.»
Comme il n’est pas du genre à faire les choses à moitié, il devient, en quel-ques années, un des meilleurs skieurs de fond et un des meilleurs marathoniens du Québec. Son endurance exceptionnelle (qu’il a héritée, dit-il, d’un grand-père bûcheron), alliée à un entraînement de forçat, le conduit vers les compétitions internationales de triathlon Ironman, les plus difficiles de la planète: 3,8 km de nage, 179 km de vélo et 42 km de course. Il participera huit fois à l’Ironman le plus prestigieux, celui d’Hawaï, dont il sera trois fois le champion dans sa catégorie.
A la fin de son premier Ironman à Hawaï, en 1993, Pierre est certain que, plus jamais, il ne devra aller puiser au fond de lui-même les dernières parcelles d’énergie. Il se trompe. La vie lui réserve un autre genre d’épreuve.
Le couple est comblé par la naissance, en 1990, de Bruno-Pierre, puis par celle de Laurie, en 1993. Mais, cette année-là, Lynne et Pierre apprennent que leur bébé est atteint d’acidose lactique, maladie incurable et potentiellement mortelle due à l’accumulation d’acide lactique dans le sang. L’acidose lactique fait partie des cinq maladies récessives présentes au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où une personne sur 22 en est porteuse. Pierre et Lynne le sont. Bruno-Pierre, lui, est épargné. Mais Laurie meurt en 1997, à l’âge de quatre ans.
Dévasté, Pierre Lavoie cherche à donner un sens à cette tragédie. «Se jeter dans l’action a été sa manière de surmonter son chagrin, dit Lynne. En même temps, cette attitude correspondait à son côté idéaliste.» Pour sa part, elle intériorise davantage son deuil en lisant et en écrivant beaucoup.
Un jour, Pierre Lavoie décide de mettre ses talents d’athlète au service de la recherche médicale. La douleur, il connaît. «Pendant un Ironman, le corps souffre terriblement, surtout au cours du marathon. On a trois choix: abandonner, ralentir ou continuer à souffrir. Je choisis toujours de continuer à souffrir.» Pierre sait également garder un esprit positif en tout temps. «Les épreuves, on apprend à passer au travers, on y repense et on va chercher dans sa mémoire les bonnes raisons de continuer. Je cherche l’espoir, je m’y accroche.»
Sa rencontre avec le pédiatre Char-les Morin, qui a soigné sa fille Laurie, est déterminante et lui insuffle un regain d’énergie incroyable.
«Il est arrivé et nous a dit, en faisant le geste de jeter une boule de papier à la corbeille: «Oubliez tout ce qu’on vous a dit sur cette maladie. Il y a des enfants qui survivent, et Laurie peut en faire partie!»
En 1999, pour faire connaître cette maladie et l’Association de l’acidose lactique, dont il est devenu président, il lance son premier Défi Pierre Lavoie: un périple à vélo, en solitaire, de 650 km en 24 heures autour du lac Saint-Jean et le long du Saguenay.
En août 2000, après la mort de Raphaël, deuxième Défi, sur le thème «On poursuit ta bataille». Il y aura quatre éditions et, chaque fois, la popularité de Pierre Lavoie grandit. En tout, il recueille 1200000$ de dons pour la recherche. Les habitants des plus petits villages l’attendent pour lui remettre un chèque dans une atmosphère de fête.
En 2003, la société Alcan, pour laquelle il travaille alors et qui le soutient à fond, le dégage de son poste pour qu’il puisse devenir porte-parole de la Corporation de recherche et d’action sur les maladies héréditaires (CORAMH), basée à Chicouti-mi. «Lde Pierre Lavoie a ému toute la région, dit Anne Vigneault, directrice de l’organisme. Il fait figu-re de héros, déplaçant à chaque édition de son Grand Défi des milliers de personnes venues l’encourager.»
Près de 100000 personnes ont assis-té à ses conférences. Qui ont fini par porter fruit. En 2003, les chercheurs ont découvert le gène responsable de la maladie. Puis ils ont réussi à mettre au point un test de dépistage prénatal tout à fait fiable. Une grande victoi-re pour tous ces parents qui n’osent pas avoir d’enfant de peur qu’il ne soit porteur du gène. Grâce à ce test, Pierre et Lynne, qui avaient un moment envisagé l’insémination artificielle avec un donneur pour éviter la double hérédité, ont ainsi pu donner naissan-ce, en 2004, à la petite Joly-Ann, un bébé en pleine santé. Plusieurs voies prometteuses sont aussi explorées dans la quête d’un médicament efficace.
Charles Morin, le pédiatre de Laurie et de Raphaël, étroitement lié à la découverte de la maladie et aux recherches internationales, est devenu un ami de ce couple remarquable, resté soudé alors que, dans 80 pour 100 des cas, la mort d’un enfant est suivie d’un divorce. «Chaque parent vit son deuil à sa façon, dit le médecin. Mais eux, dans leur esprit, ils ont encore quatre enfants. Laurie et Raphaël font toujours partie de leur existence. Ils continuent à les faire vivre autrement. Dans un monde où les valeurs s’effritent, ils sont pour bien des gens un modèle rassurant.»
En 2006, Pierre Lavoie s’est vu décerner le titre de Chevalier de l’Ordre national du Québec. Il poursuit également le défi de taille qu’il s’est lan-cé trois ans auparavant: faire bouger les jeunes. Pour eux, il a créé le Club cycliste acidose lactique.
«Je me suis acheté ma première bicyclette à 13 ans, en distribuant les journaux, dit-il. Alors, je leur donne l’occasion de faire du sport pour 50$ par année, et même gratuitement s’ils n’ont pas d’argent. On m’avait prédit quatre participants, et ils sont maintenant 200!»
Après le succès dépassant toutes ses espérances du Défi 2005, Pierre Lavoie prépare un Défi 2009. Il a pour objectif cette fois de faire bouger le Québec, mais cela ne lui fait pas pour autant perdre de vue son combat con-tre l’acidose lactique. Pour le moment, les fonds sont suffisants pour aider les chercheurs à poursuivre la mise au point d’un médicament. Mais dès que le besoin s’en fera sentir, Pierre Lavoie se remettra en selle.
La maladie voleuse d’enfants n’a qu’à bien se tenir.
Pour contribuer à la recherche, on peut acheter pour 2$ le bracelet bleu de l’Association de l’acidose lactique en visitant www.aal.qc.ca
source -> http://www.selection.ca/
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LE GRAND DÉFI
« UN ESPRIT SAIN DANS UN CORPS SAIN »
Cet événement unique et rassembleur vise à développer
de saines habitudes de vie chez les jeunes de 6 à 12 ans et,
par effet d’entraînement, chez leurs parents.
http://legdpl.com/
http://legdpl.com/pierre-lavoie/le-blogue-de-pierre