Le ver est dans la pomme

DANY DOUCET
31/01/2010 07h42


Les demandes du Front commun syndical, dans la négociation avec l'État, «semblent à première vue un peu élevées». Pauline Marois l'a dit une fois. Il reste maintenant à voir si elle pourra le dire deux fois...

Je n'en ai pas la preuve, mais je suis convaincu que Mme Marois aurait bien envie le répéter que le Front commun syndical est trop gourmand à la table des négociations en demandant des hausses salariales de 11,25 % sur trois ans.

On sait que le gouvernement, lui, offre globalement 7 % sur cinq ans tout en se demandant, d'autre part, comment rééquilibrer ses finances et sortir du rouge.

Mais la chef du PQ pourra-t-elle récidiver? Ce sera très intéressant à suivre au cours des prochaines semaines, car elle se frotte publiquement pour la première fois à son aile gauche syndicaliste.

Depuis que Bernard Landry a fait une place spéciale au SPQ Libre au sein du Parti québécois, en 2004, par crainte de voir la gauche issue du monde syndical rejoindre les rangs de Québec Solidaire, le PQ a les mains liées derrière le dos lorsqu'il veut s'exprimer dans un dossier susceptible d'irriter les syndicats.

«Le ver est dans la pomme», me confiait il y a quelques mois un ex-ministre péquiste, faisant référence à l'infiltration insidieuse des puissantes centrales dans un aussi grand parti.

Pauline en liberté surveillée

Dans les médias d'hier, on a eu une belle preuve de la «liberté surveillée» dans laquelle se trouve Pauline Marois lorsqu'elle parle d'enjeux syndicaux.

«Je suis surpris et choqué de ça. On n'est absolument pas content», a d'abord commenté Marc Laviolette, du SPQ Libre, à la une du Devoir, au sujet des déclarations de Mme Marois.

Il en a remis plus tard sur les ondes de LCN: «Je suis déçu de son commentaire et ça a ulcéré les organisations syndicales qui sont les amies du Parti québécois.»

«Il faut voir ça d'un point de vue souverainiste, la question des finances publiques au Québec, a dit M. Laviolette. On a la moitié de nos impôts pour régler 100 % de nos problèmes. Il faut rapatrier l'ensemble de nos impôts pour maintenir le modèle québécois qu'on a bâti depuis les années 1960 et ça, ça veut dire la souveraineté du Québec.

«Minimalement, je m'attendrais à ce que la chef souverainiste pense en dehors de la boîte en matière de finances publiques du Québec.»

Quand le ver est dans la pomme

Le SPQ libre, dont on a entendu peu parler et qui demeure méconnu du grand public, est l'acronyme de Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre.

Le nom en soi en dit long. C'est «un club politique qui a obtenu un statut spécial au sein du PQ et qui a pour objectif la formation et le développement d'un courant syndicaliste et progressiste organisé sur la scène politique québécoise et plus particulièrement au sein du Parti québécois», résume le site Internet du «club».

Le SPQ libre a été fondé par Marc Laviolette, ancien président de la CSN, Monique Richard, ancienne présidente de la CEQ, et Pierre Dubuc, ex-rédacteur en chef de L'aut' journal, un mensuel syndicaliste.

C'est sans parler de Gérald Larose, exprésident de la CSN, qui est président du Conseil de la souveraineté du Québec, un organisme associé au PQ qui a pour mission la promotion de la souveraineté du Québec. Ni Jonathan Valois, l'actuel président du PQ, qui travaillait jusqu'à récemment à la permanence de la CSN.

Il y a plusieurs autres syndicalistes dans le giron du parti et même chez son cousin d'Ottawa. Après tout, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, est un ancien négociateur de la CSN, alors que son leader parlementaire, Pierre Paquette, est un ancien secrétaire général (numéro deux) de la CSN.

Les maîtres du rapport de force

C'est Bernard Landry lui-même qui m'avait un jour raconté comment le «squeeze play» s'était déroulé pour que ce «club» obtienne un statut spécial au sein du PQ et comment il n'avait pas pensé avoir d'autre choix au moment où naissait Québec solidaire qui emportait avec lui des fidèles de gauche du PQ.

Au baseball, un «squeeze play» se produit lorsqu'il y a un homme au troisième but et que le frappeur fait un amorti. Le lanceur qui se retrouve la plupart du temps avec la balle a une fraction de seconde pour décider s'il lance la balle au marbre ou au premier but.

Or, les syndicats savent mieux que quiconque comment utiliser la stratégie du «squeeze play» pour bâtir un rapport de force.

«Il (Bernard Landry) aurait dû les laisser partir, c'était un mauvais calcul. Ce sont eux qui, aujourd'hui, empêchent le PQ de se moderniser et qui le font glisser dans les sondages. Le Parti libéral est mort de rire», me confiait cet ex-ministre péquiste, qui demande à conserver l'anonymat.

«René Lévesque avait un préjugé favorable aux travailleurs, dit-il, mais il n'aurait jamais permis d'avoir les mains liées par quiconque.»

source -> http://www.canoe.com



















Caricature -> Ygrec
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L’«audace» syndicale
Le Journal de Montréal, p. 27 / Nathalie Elgrably-Lévy, 04 février 2010

«De l’audace, de l’audace; en toute occasion, de l’audace». Cette citation d’Edmund Spenser, poète anglais du XVIe siècle, aurait pu tout aussi bien être prononcée par les ténors du front commun syndical.

Alors que l’économie reste fragile, que le chômage atteint 8,4% et que le déficit et la dette compromettent notre croissance économique et le niveau de vie de nos enfants, le front commun réclame sans vergogne des augmentations salariales de 11,25% sur trois ans, soit 3,2 milliards $, rien de moins!

Évidemment, les chefs syndicaux s’empressent de proposer à l’État des moyens pour financer cette dépense additionnelle. Ainsi, Mme Carbonneau recommande d’augmenter les impôts de 900 millions $ et de renoncer au plafonnement des dépenses et aux efforts de retour à l’équilibre budgétaire, autant de suggestions qui ne pourront qu’aggraver la situation actuelle. Manifestement, elle juge que la santé économique de la province, les perspectives d’avenir de millions de Québécois et la compétitivité de nos entreprises passent après la satisfaction de ses membres. Belle solidarité!

Ainsi, le front commun suggère des moyens de trouver les fonds nécessaires, mais il n’explique pas pourquoi Québec, donc les contribuables québécois, devrait accepter de telles hausses salariales. Après tout, puisque le front commun nous demande de consentir des sacrifices et de nous montrer généreux, ne devrions-nous pas à notre tour exiger de lui qu’il défende la légitimité de ses ambitieuses revendications?

On nous répondra que les employés de l’État travaillent dur. Admettons! Mais cela n’est pas une justification, car ceux du secteur privé, qui travaillent autant, sinon davantage, n’oseraient même pas rêver à de telles augmentations.

S’agit-il d’indexer la rémunération pour tenir compte de la hausse du coût de la vie? Nullement, puisque celle-ci, telle que mesurée par Statistique Canada, fut d’à peine 0,6% en 2009.

Les employés de l’État seraient-ils défavorisés? Bien au contraire! Selon l’Institut de la statistique du Québec, les employés du secteur public ont touché en 2008 un revenu hebdomadaire moyen 29% plus élevé que celui de leurs homologues du secteur privé, alors qu’ils travaillent 73 heures de moins par année. Quant aux avantages sociaux et à la sécurité d’emploi, il n’existe pas de données pour l’ensemble du secteur privé, mais il est raisonnable de penser que les travailleurs des PME québécoises sont moins gâtés que ceux de la fonction publique.

Les hausses salariales de 11,25% seraient-elles alors justifiées par une hausse proportionnelle de la productivité des employés de l’État? Voilà qui serait difficile à croire! Pour l’ensemble de l’économie, la productivité n’a augmenté que de 0,8% par année de 1981 à 2008.

Alors, je pose de nouveau la question. Pourquoi devrions-nous accepter des augmentations aussi considérables et payer nettement plus cher pour obtenir les mêmes services? Pourquoi un travailleur du secteur privé qui n’a ni sécurité d’emploi ni régime de retraite et dont la rémunération atteint à peine 77% de celle de son collègue de la fonction publique devrait-il faire les frais de la folie des grandeurs du front commun?

Il fut un temps où le syndicalisme réalisait de grandes choses et contribuait au développement de la société. Mais ce temps est révolu. Il a obtenu la création d’une catégorie de travailleurs jouissant de privilèges sans rapport avec leur productivité. Il a aussi réussi à obtenir que les contribuables se plient aux exigences des chefs syndicaux. Est-il donc incongru de demander aux dirigeants du front commun de respecter la capacité de payer de la population?

source -> http://www.iedm.org
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.