Pas de sang sur les murs des ministĂšres



Dans un titre accrocheur, pour ne pas dire sensationnaliste, Patrick LagacĂ© signe ce matin une chronique sur les compressions budgĂ©taires et les coupures de services. Il cite Luc Ferrandez qui avait demandĂ© Ă  un boss « comment il savait s’il avait trop coupĂ©. Sa rĂ©ponse : “Y a du sang sur les murs.” ».

On a tous vu des histoires d’horreur ces derniers mois, des bains plus qu’Ă©pisodiques, des patates en poudre, des Ă©coles et des universitĂ©s qui tombent en ruine, des dĂ©lais qui s’allongent, des services qui se dĂ©gradent... Patrick LagacĂ© se pose donc une question : doit-on choisir des baisses d’impĂŽt pour pouvoir s’acheter des Audi A4, ou des services publics qui aident les plus vulnĂ©rables?

Pour moi, cette question est choquante, malhonnĂȘte et insidieuse. Elle implique que c’est bien de notre faute Ă  nous, les contribuables, si les services publics ne suffisent pas Ă  soulager toute la misĂšre humaine de notre sociĂ©tĂ©. Si seulement on en donnait plus aussi!

Petit oubli de 102 milliards de dollars

Savez-vous quel est le montant des dĂ©penses gouvernementales cette annĂ©e ? Un petit 102 milliards de dollars. C’est ça qui est pigĂ© dans nos mĂ©chantes poches individuelles pour financer la « poche collective ». Ce n’est pas rien de dĂ©penser 102 milliards de dollars en une seule annĂ©e! Ça paie 500 000 employĂ©s du secteur public. Une vĂ©ritable armĂ©e censĂ©e s’occuper de nous tous et des malheurs de chacun.

Et, Patrick LagacĂ© et Luc Ferrandez viennent nous dire que c’est ben juste de notre faute Ă  vous, Ă  moi et Ă  tous les contribuables si les services publics ne sont pas Ă  la hauteur. Qu’il faudrait renoncer aux baisses d’impĂŽt parce que le plus important dans la vie, c’est tous les bĂ©nĂ©fices « immatĂ©riels » des services publics.

La question, ce n’est pas de choisir entre baisses d’impĂŽt et services publics, mais de savoir comment il se fait que les services publics sont si mauvais malgrĂ© ces 102 milliards de dollars.

Voulez-vous bien me dire d’oĂč sort ce discours culpabilisant au possible? Une tentative de faire du travailleur ordinaire un bouc Ă©missaire de toute l’incurie gouvernementale, du gaspillage, des tracasseries administratives, des organigrammes qui n’en finissent plus, du bordel informatique, des formations luxueuses pour quelques mandarins importants, etc.

Or, si le gouvernement a atteint le dĂ©ficit zĂ©ro, c’est d’abord grĂące aux nouveaux tarifs et nouveaux impĂŽts sur le dos des contribuables, dĂ©jĂ  parmi les plus imposĂ©s en AmĂ©rique du Nord, et non pas avec des compressions de budgets.

La protectrice du citoyen dit qu’on n’a pas coupĂ© dans le gras

Les mĂ©dias ont abondamment citĂ© le dernier rapport de la protectrice du citoyen, Raymonde St-Germain. La nouvelle : elle dĂ©nonçait l’impact bien rĂ©el des coupures sur les usagers des services publics, souvent des citoyens plus vulnĂ©rables. Mais elle mentionnait aussi que « l’Administration », appellation pudique de la bureaucratie tentaculaire, n’a pratiquement pas souffert.

Voici un extrait rĂ©vĂ©lateur du communiquĂ© Ă©mis par la protectrice du citoyen, qui parle du premier dĂ©fi qu’elle a identifiĂ© :

« Au fil des ans et des compressions budgĂ©taires cumulĂ©es – dont je n’ai jamais contestĂ© la pertinence sur le fond, mais plutĂŽt regrettĂ© la sous-estimation de l’impact rĂ©el de certaines sur les citoyens –, je suis d’avis que l’Administration en a malgrĂ© tout moins souffert que la personne vulnĂ©rable », a dĂ©clarĂ© Raymonde Saint-Germain. Ciblant des effets nĂ©gatifs de la bureaucratie, la protectrice du citoyen fait Ă©tat d’exigences excessives, de formulaires conçus pour celui qui les administre et non pour celui qui doit les remplir et d’Ă©tapes de supervision et de contrĂŽle exagĂ©rĂ©es, qui grugent indĂ»ment le temps des agents dont la prioritĂ© doit ĂȘtre le service Ă  la population.

Ce premier dĂ©fi, le tout premier, c’est celui dont les mĂ©dias ont le moins parlĂ© et qui s’intitule : « intensifier les efforts pour rĂ©duire la bureaucratie plutĂŽt que les services ». C’est en caractĂšres gras dans le communiquĂ©, mais on en a Ă  peine entendu parler. Ça ne s’invente pas.

Dans la rĂ©alitĂ©, les coupures sont trop souvent le rĂ©sultat de dĂ©cisions prises par des bureaucrates qui veulent faire payer un prix politique au gouvernement qui rĂ©duit leurs budgets. Au lieu de couper dans le gras, on attaque directement le muscle. Ça saigne abondamment, et on se dit qu’il n’y a donc pas de gras Ă  couper. DĂšs qu’une mise Ă  jour budgĂ©taire est annoncĂ©e, on demande plus d’argent pour « rĂ©parer » les coupures. Et le tour est jouĂ©.

Vous voulez savoir si le gouvernement a trop coupĂ©? Rassurez-vous messieurs LagacĂ© et Ferrandez, il n’y a pas de sang sur les murs des ministĂšres. C’est seulement qu’on les a repeints en rouge en mars dernier, pour dĂ©penser ce qui restait dans le budget avant la fin de l’annĂ©e financiĂšre!